Les Etats Unis d’Amérique sont depuis plus d’un siècle la première puissance de notre planète; devenus pays-monde ils sont souvent la préfiguration de ce que seront nos sociétés,
C’est pourquoi nous devons être particulièrement attentifs à leurs évolutions.
L’élection de Donald Trump en 2016 nous a largement surpris mais moins encore que sa gouvernance et bien moins encore que son score aux dernières élections.
Il y a bien entendu les explications tenant à l’existence d’une Amérique profonde, attachée à son histoire avec la crainte d’un déclassement de ses classes moyennes, rurales et urbaines, attirées par la garantie que sont censées lui apporter un homme fort avec un pays qui l’est redevenu; d’un besoin de protection contre les invasions, au Sud avec les vagues migratoires et à l’Est avec la menace commerciale; le tout sur fond de détestation des élites à la tête d’un état supposé spoliateur avec aussi, à court terme, des succès économiques.
Mais ces louables tentatives d’explications rationnelles d’une politique fondamentalement erratique, à l’image de son instigateur, ne suffisent pas à faire le compte des plus de 70 millions d’Américains venant de toutes les couches de la population qui ont voté pour un tel personnage.
Car dans l’autre plateau de la balance il y a un homme, appelé à la plus haute fonction, qui a déversé un tsunami de mensonges 4 années durant assorti de billevesées qui en ont fait la risée du monde entier; tournant systématiquement le dos à la raison et à la science comme en témoignent ses positions tant sur le dérèglement climatique que sur la pandémie du corona virus avec des conséquences dramatiques sur la population.
Et la question redouble d’intensité avec la conscience du primat de l’exigence de vérité qui surplombe la vie publique Américaine; chacun se souvient de la vague d’indignation qui faillit conduire Bill Clinton à la destitution pour avoir menti sur la nature de sa relation avec Monica Lewinsky.
Quels sont donc les ingrédients de cette potion magique qui a permis à Donald Trump de traverser sans encombre ces années folles où il a pu faire de mensonges éhontés des vérités « alternatives » sans encourir les foudres de ses concitoyens et perdre leur confiance?
Sans doute parce qu’il a su utiliser tout le catalogue des passions tristes (Spinoza) pour capturer les esprits de sujets inquiets face à un monde complexe et mouvant qui s’accrochent désespérément à des stéréotypes rassurants; la protection de l’intégrité nationale et raciale avec la xénophobie et le racisme, de la famille traditionnelle avec la misogynie et l’homophobie, de la liberté avec l’horreur d’un « socialisme » liberticide, le tout sur fond de la peur et de la haine qu’ils engendrent.
Et il suffit d’être habité par l’une seule de ces hantises pour adhérer au personnage tant leur force obsessionnelle est capable d’occuper tout l’espace mental et d’affaisser les défenses immunitaires que sont la connaissance et l’humanité.
Or l’addition de ces obsessions couvre un large spectre des citoyens et il faut alors féliciter le peuple Américain de sa résilience et de son attachement majoritaire aux principes et valeurs démocratiques.
Quant à la sous estimation systématique du vote trumpiste dans les sondages, elle se retrouve tout autant en Europe pour les extrêmes droites car nombreux sont les citoyens préférant taire leur choix ayant bien conscience, au fond d’eux memes, de la misère de leurs sentiments.
Or ceux ci sont aujourd’hui devenus, par capitalisation, un fonds commun de l’humanité, au même titre que l’humanisme ou la religion; ils constituent par conséquent un tremplin permettant de gagner les esprits et de conquérir le pouvoir.
Cette nouvelle idéologie n’est pas fondée, à l’instar des précédentes, sur une croyance cardinale comme la race pour le nazisme, la classe ouvrière pour le communisme, l’être humain pour l’humanisme ou dieu pour la religion; elle est faite d’un salmigondis de craintes, de peurs et de haines à l’encontre de l’autre différent; ses adeptes se considèrent généralement comme des victimes, selon les circonstances, de dirigeants corrompus ou impotents, souvent à la solde de puissances occultes ou d’intérêts étrangers et incapables de nous protéger des invasions qui nous menacent; la seule solution étant dès lors le repli sur son identité nationale et/ou religieuse convoquant les manes de l’histoire avec, naturellement, le recours à un leader charismatique.
Qui ne peut voir dans cette logique ce que fut le monde un siècle auparavant avec la montée d’idéologies portées par les mêmes ressentiments et qui ont débouché sur la dictature et la guerre?
L’Amerique s’est débarrassée à grand peine de Trump, mais le monde demeure imprégné de ce modèle mortifère; il possède déjà, en dehors même des Êtas Unis, des émules avec des régimes politiques, jusqu’au sein de l’Europe, qui s’en inspirent, ouvertement ou non; il a démontré que la Démocratie était, au moins provisoirement, compatible avec la démagogie, le nationalisme exacerbé et le mensonge; il a ainsi réussi à enfoncer un coin dans le bloc des valeurs qui fondent les régimes démocratiques et l’ensemble Européen qui sont dans une alliance ancestrale et naturelle avec les Etats Unis.
Ainsi le monde d’aujourd’hui est confronté à deux dangers majeurs: le fanatisme religieux et le nationalisme identitaire; ils constituent un refuge pour des esprits effrayés et égarés par un monde ouvert aux quatre vents, innervé par des réseaux d’information agissant sans autre but que l’accumulation de leur influence, source d’immenses richesses.
Une concurrence anarchique s’est installée tant dans le domaine médiatique que politique; et, à ce jeu, les démagogues ont toujours une longueur d’avance qui pourrait leur permettre d’arriver en tète dans la course pour la conquête du pouvoir.
Il est tout aussi impératif qu’urgent que les états démocratiques et leurs citoyens se ressaisissent et reprennent la main sur tous les outils qui contribuent à la formation des enfants et à l’information des adultes; d’abord par le renforcement des systèmes éducatifs notamment au plan éthique qui doit devenir l’axe autour duquel se développe la transmission du savoir; « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » nous a appris Rabelais; pour l’avoir négligé nous avons laissé le champ libre à des idéologies qui ont pour objectif la destruction de nos démocraties.
Cette reprise en main doit s’effectuer sur l’ensemble des medias et d’abord les réseaux sociaux devenus les vecteurs privilégiés de la propagation de ces élucubrations.
Il ne s’agit certes pas d’instaurer un régime de censure ou de pensée unique mais de mettre en place un système, en collaboration avec les « géants du numérique », pour réguler la diffusion des messages qu’ils propagent et interdire les écrits et propos manifestement illicites ou mensongers.
Cette rigueur doit s’étendre à l’ensemble des medias dont chacun sait que certains sont uniquement conçus comme des instruments de propagande à la solde d’états ou d’organisations dont les visées sont la disparition des démocraties et le rejet des valeurs qui les fondent.
C’est à ce prix que nous serons définitivement débarrassés de Donald Trump dont le nom demeurera celui d’un affront à l’Humanité.
François Cantier – Avocat
Président d’honneur d’Avocats sans Frontières France
Président de l’Ecole des Droits de l’Homme