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La Françafrique encore?

La France vient de permettre sans coup férir la désignation à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie de l’actuelle Ministre des Affaires Étrangères du Rwanda.

 

Tous les observateurs politiques, les historiens et ceux qui ont eu à travailler sur ce pays savent qu’il est dirigé par un dictateur et que personne, étant Rwandais, ne peut, sans risque vital, aller à l’encontre de sa volonté ou exercer la moindre critique.

Tous les rapports des grandes organisations internationales de défense des droits de l’homme, Amnesty International, Fédération Internationale des Droits de l’Homme, Human Rights Watch, Reporters sans Frontières font état de l’absence de liberté et de la répression qui sévit dans ce pays.

 

Faut il ajouter que le régime en place a rejeté la langue française en faisant de l’anglais la seconde langue de scolarisation après le kinyarwanda, alors même que le Français était la langue étudiée et parlée par tous ceux qui avaient fait des études? Fait unique dans l’histoire où une langue venue de la colonisation (Belge) est remplacée par une autre langue étrangère.

 

Ainsi donc l’OIF créée et développée autour de la langue Française et des principes et valeurs de la démocratie et des droits de l’homme va être dirigée par une personne qui rejette le Français et ne veut pas entendre parler de la démocratie et des droits fondamentaux.

 

Il n’y avait que la France, où plutôt son nouveau Président, pour réaliser un tel coup que personne ne peut expliquer, sauf à méconnaître la réalité Rwandaise et Géopolitique ou à parler, comme l’un de nos diplomates, de coup…de tête.

 

Ce qui pose le problème du pouvoir absolu que détient le Président de la République sous notre Vème République en matière de politique étrangère.

 

Car l’histoire de la France et du Rwanda n’est pas commune et touche les intérêts géo stratégiques et moraux de notre pays avec le point d’orgue tragique du 3 eme génocide du 20 eme siècle.

 

Rappelons pour mémoire que celle-ci commencé à la fin des années 80 avec l’intervention de notre pays à la demande d’un gouvernement Rwandais, celui du Président Habyarimana issu du groupe ethnique majoritaire Hutu, dont le territoire était attaqué par une armée venue de l’Ouganda, composée essentiellement de Tutsis réfugiés dans ce pays et dirigés par Paul Kagamé, officier de l’armée Ougandaise formé à West Point; l’ancien puissance coloniale (la Belgique) n’étant plus en mesure d’apporter l’aide nécessaire, la France crut bon d’accéder à cette demande et de renforcer ainsi sa présence dans une zone politiquement sensible face aux intérêts anglo-américains.

Nos troupes firent la différence et celles de Paul Kagamé durent se retirer.

 

De là naquit un désir de revanche et une hostilité exceptionnelle de Paul Kagamé à l’égard de la France.

 

Le génocide des Tutsis du Rwanda, mis en œuvre à compter du 6 avril 1994 et à la suite de l’attentat contre l’avion transportant le Président Habyarimana, va encore creuser l’abîme entre Paul Kagamé et la France qu’il accusera et accuse toujours d’avoir été complice du génocide par le soutien au régime qui l’a commis, jusqu’à travers l’opération Turquoise pourtant décidée et mise en œuvre sous l’égide des Nations Unies.

À l’évidence la France n’a jamais voulu l’élimination des Tutsis et les accusations portées contre elle sur la complicité de génocide sont odieusement fausses.

 

Il n’en demeure pas moins que notre pays a accepté, pour des raisons somme toutes secondaires, de s’immiscer dans un monde qu’elle ne connaissait pas en soutenant un pouvoir où a germé le projet génocidaire dans un pays composé de 90% de Hutus et 10% de Tutsis constituant historiquement la classe dominante et écartés du pouvoir politique par une révolution 35 ans auparavant.

 

Depuis la fin de la guerre, du génocide et des massacres qui firent en 3 mois prés d’un million de morts (6 avril-5 juillet 1994) c’est Paul Kagame, indirectement ou directement, qui dirige le pays d’une main de fer.

 

Il a fait avaliser à plus de 98% la modification de la Constitution qui lui permettra de demeurer au pouvoir jusqu’en 2034 et a été réélu Président en 2017 avec, à nouveau, plus de 98% des suffrages.

Toute tentative de contestation est immédiatement réprimée par l’emprisonnement ou la disparition; des opposants en exil sont pourchassés et assassinés.

 

Par ailleurs il transforme à marche forcée le pays en faisant une place exceptionnelle aux femmes, en luttant contre la corruption et en développant l’économie.

 

Paul Kagamé est surtout au Rwanda un personnage messianique pour avoir sauvé les Tutsis de l’extermination; il est en cela, à l’échelle de l’Histoire, exceptionnel; or le monde Hutu, toujours majoritaire, n’a pas dit son dernier mot; d’autant que le pouvoir actuel le stigmatise outrancièrement en assimilant tous ses membres aux génocidaires et l’humilie quotidiennement par des mesures qui l’écartent largement des sphères de responsabilité politiques et économiques.

 

Le pari affiché de Paul Kagamé est d’éliminer, avec le temps, le clivage mortel Hutu -Tutsi.

 

Le fait est qu’à ce jour il n’y est pas parvenu et les comportements ci dessus rappelés n’y contribuent pas.

 

Par conséquent la Démocratie telle que nous l’entendons, à travers d’abord la libre désignation des dirigeants se traduirait par un vote Hutu largement majoritaire et aussitôt la mise en danger des Tutsis.

 

L’Histoire leur a appris qu’il était vain de compter sur la Communauté internationale pour les protéger.

 

Par ailleurs la situation actuelle du Burundi voisin vient conforter ces craintes puisque le Président de ce pays, dont la composition de la population est quasi identique, après 20 ans de paix civile entre les 2 groupes, ravive leur clivage et désigne systématiquement les Tutsis comme ses ennemis.

 

La mission que s’est donnée Paul Kagamé n’est pas de promouvoir la langue Française, la Démocratie et les Droits de l’Homme mais de sauver son peuple de la disparition.

 

À ce jour la langue Française, incarnée par son pays d’origine, la France, symbolise le danger mortel qu’il a combattu; car si la France n’était pas intervenue en 1990, il aurait très certainement conquis le pouvoir et évité le génocide de 1994.

 

Quant à la Démocratie et aux Droits de l’Homme ils signeraient la fin de son pouvoir et la renaissance d’une menace d’extermination.

 

Voici pourquoi il ne fallait pas faire le choix du Rwanda d’aujourd’hui pour incarner la langue Française et les droits de l’homme.

 

J’ajoute que le pouvoir du Président Kagamé entre dans une catégorie qui prospère sur la planète Terre: celle des démocraties illibérales, récent euphémisme pour désigner le despotisme, éclairé ou sombre; nous connaissons la Russie de M. Poutine, la Chine de XI Jinping, la Turquie de M. Erdogan ou les Philippines de M. Dutertre; avec des effets contagieux en Europe et en Amérique du Sud; nul doute que le régime Rwandais fera école en Afrique et saura trouver de précieux appuis pour mieux assurer sa pérennité au prix du rejet des principes fondateurs de la Francophonie.

 

Une fois encore cet épisode illustre les difficultés que rencontre encore la France dans sa relation avec le continent Africain; en intervenant ainsi, il est à craindre qu’elle ait à nouveau commis une erreur lourdement préjudiciable aux peuples constituant l’espace Francophone pour qui les principes et valeurs de démocratie et de respect de leurs droits fondamentaux demeurent essentiels à leur protection et à leur émancipation.

 

 

François Cantier,

 

Avocat

Fondateur et Président d’Honneur d’Avocats sans Frontières France

Président Fondateur de l’Ecole des Droits de l’Homme.