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Vers un ordre nouveau ?

Le premier discours d’Eric Zemmour, â Villepinte, le 5 décembre 2021, méritait d’être écouté attentivement.

Parce que, d’abord, nous avons entendu un véritable orateur, aux propos construits, clairs, scandés, destinés à envoûter un auditoire convaincu d’avance et, au delà, à mobiliser ceux, nombreux, qui partagent ses craintes obsessionnelles.

Il s’est agi pour lui de dresser le constat d’un pays envahi, rabaissé, humilié, abandonné par une classe politique incompétente et veule ; avec, comme conclusion évidente, son indispensable reconquête sous l’égide d’un homme aussi neuf que fort.

Certes la rhétorique de la catastrophe et du sauveur est traditionnelle en politique et rares sont les candidats qui se privent d’y avoir recours ; tout comme celle de la nation idéale qu’il promet de reconstruire.

Mais ici ce sont les voies qu’il entend emprunter pour parvenir à ses fins qui doivent être mises en exergue et analysées, avec :

La mise à l’écart du Conseil Constitutionnel
L’affranchissement des engagements internationaux de la France.

Rendons-lui grâce que ce programme ne soit pas celui d’une simple réforme de nos institutions et de notre politique internationale ; il constitue, en fait, une véritable Révolution avec comme conséquence l’instauration d’un ordre nouveau.

Lequel ? Celui d’un pays dirigé par un homme libéré de toutes les contraintes que lui impose l’état de droit : le respect de la Constitution, dont la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 fait partie intégrante, les engagements internationaux et notamment Européens que sont la Convention Européenne des Droits de l’Homme et la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne; tout cela au nom de l’intérêt supérieur de la Nation.

Cet ordre nouveau a une référence historique : le fascisme qui se définit comme un système politique autoritaire alliant populisme et nationalisme qui se fondent et se confondent avec M. Zemmour pour qui le but suprême est une France qui protège ses seuls ressortissants et chasse les envahisseurs.

Or, un tel projet est tout simplement chimérique; et, s’il était entrepris, jetterait la France dans le cul-de-basse-fosse de l’Histoire.

Sa réalisation exigerait de multiples révisions constitutionnelles dans des conditions conformes aux articles 89 et 11 de la Constitution ; et s’agissant d’écarter des textes aussi fondamentaux que la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, nul doute que notre homme providentiel aurait plus que du mal à obtenir soit les majorités requises dans les Assemblées Parlementaires, soit celle des Français ; d’autant que le Conseil Constitutionnel veillera à la régularité de ces opérations.
Cette Institution prévue dans la Constitution de 1958 est devenue la cible principale des extrêmes droites ; en raison de son rôle déterminant de gardien des principes républicains et démocratiques inscrits dans notre Loi Suprême par ses inspirateurs, le Général de Gaulle et Michel Debré; et lorsque le candidat affirme régulièrement qu’il n’acceptera pas que le Conseil Constitutionnel l’empêche de gouverner, il promet tout simplement de sortir de l’état de droit et de se mettre hors-la-loi.

Ces choix contraindraient notre pays à violer puis à rompre un grand nombre de ses engagements internationaux à commencer par ceux contractés au sein de l’Europe ; ceci se traduirait par le ravalement de la France du rang de Patrie des Droits de l’Homme à celui de leur fossoyeur, et de la place d’espoir pour les peuples du Monde à celui de plus sûr allié de leurs oppresseurs !

Mais, au fait, tout cela peut-il échapper à un homme comme lui ? A l’évidence, non !

Alors, et au-delà des questions politiques, demeure celle de savoir ce qui peut le pousser à de telles extrémités. Ne serait-ce pas un fou désir existentiel, encouragé par les perspectives qu’offre l’inquiétude sourde de nos concitoyens prêts à croire à une France en déclin envahie par des étrangers aux apparences et à la religion différentes des leurs ?
Ne voudrait-il pas jouir, tel Néron, du spectacle de Rome en flammes ?

C’est ici l’hypothèse la plus probable. Celle d’un homme hanté par l’idée du déclin de son pays, désireux, arrivé au crépuscule de sa vie, d’une aventure finale, fût- elle funeste, où il entraînerait sa nation dont il subodore déjà qu’elle n’est pas à la hauteur de ses espérances.

Gardons-nous de ce Savonarole des temps modernes ! L’ordre nouveau qu’il cherche à imposer n’est rien d’autre que l’ordre ancien de ses terrifiants précurseurs qui ont précipité l’Europe dans la dictature, l’holocauste et la guerre. Le monde entier attend de la France qu’elle perpétue la civilisation des Lumières, celle qui porte le progrès et l’espérance, à l’opposé du projet mortifère que M.Zemmour nous propose ; ainsi, avec tous ceux qui ne craignent pas le grand remplacement qu’il nous promet, nous combattrons celui qui revêtirait son effrayant visage.


François Cantier – Avocat
Président d’honneur d’Avocats sans Frontières France
Président de l’École des Droits de l’Homme