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Pegasus ou la revanche de la Chimère

Les révélations des performances du logiciel espion Pegasus interpellent les citoyens du monde autant que les Etats.

Les communications électroniques et l’informatique sont devenues le passage obligé de nos relations, familiales, sentimentales, amicales, professionnelles, syndicales, politiques, associatives; aucune n’y échappe.

La possibilité qu’offre cet intrus hors norme d’y accéder sans être repéré est proprement terrifiante.

Les amis d’Israel sont confondus par l’annonce que la société qui a mis au point ce logiciel et surtout le commercialise soit installée dans ce pays; car il est plus qu’évident qu’elle ne peut avoir conçu et mis sur le marché un tel outil sans l’aval et le contrôle des dirigeants de son Etat.

Si chacun peut et doit prendre en compte le souci premier d’Israel d’assurer sa sécurité, c’est à dire sa survie, ses hauts responsables doivent garder présent à l’esprit qu’à l’origine de l’holocauste étaient des hommes et des régimes qui niaient les droits fondamentaux; et aujourd’hui comme hier le danger essentiel vient de ce même horizon où des extrémismes religieux et laïques et leurs pâles copies illibérales rejettent et combattent ces mêmes droits.

Or ce même état autorise la livraison de cette arme de destruction massive des droits de l’Homme et de leurs Défenseurs à des Régimes qui l’utilisent pour faire taire par la prison, la torture ou la mort ces femmes et ces hommes qui luttent pour le respect des droits de leur peuple; le seul critère de choix semblant être leur proximité stratégique avec lsrael; avec comme alibi le combat contre le terrorisme devenu le voile de Noé de tous les despotismes.

Son coût, estimé à environ 25.000 Dollars par cible, ainsi que ses conditions d’utilisation le mettent essentiellement à la portée des Etats, de grandes entreprises voire d’organisations criminelles; en bref de tous ceux qui constituent, en raison de leur puissance même, un danger pour les citoyens; et ne doutons pas que cette géniale invention va faire école et que vont se développer rapidement des produits similaires dont le prix deviendra de plus en plus abordable permettant sa prolifération.

Comment se défendre contre un tel danger?

Par des initiatives à deux niveaux, celui des Etats et celui des citoyens du monde et de leurs Organisations.

La France, avec le soutien de l’Europe, s’honorerait de saisir en urgence le Conseil de Sécurité des Nations Unies, dont elle est membre permanent, afin qu’il engage les Etats membres à négocier les termes d’un traité international interdisant la prolifération de ce type de matériel et limitant, pour ceux qui le possèdent, son utilisation à des fins bien précises (lutte contre le terrorisme, le crime organisé) sous le contrôle d’une autorité internationale, sur le modèle du système existant pour l’utilisation de l’énergie atomique, l’AIEA; et dans un premier temps de demander à cette même instance d’interdire aux états membres de le fabriquer, de l’importer, de l’exporter ou de l’ utiliser; les grands Etats de la planète et notamment les Etats Unis et les pays Européens disposant de moyens aptes à faire respecter une telle décision, notamment avec l’appui de leurs systèmes bancaires.

Mais il ne s’agit pas de compter uniquement sur la volonté des États et des organisations qui les regroupent, même de ceux dont les dirigeants ont été ciblés; entre considérations économiques et géo politiques nombreux seront les obstacles à des actions rapides, concrètes et efficaces.

C’est donc à la société civile et à ses organisations de se mobiliser pour entraver ces funestes menaces qui constituent un risque mortel pour la Démocratie et les droits fondamentaux ; dans la mesure où ce logiciel est prioritairement acquis pour espionner des personnes qui, de par leur profession. concourent à informer leurs concitoyens (journalistes) à les protéger (membres d’associations de défense des Droits Humains, Syndicalistes) à les défendre (Avocats), ou à faire vivre la Démocratie (opposants politiques); en résumé tous ceux sans qui aucune liberté individuelle ou collective ne peut exister.

Pour les détenteurs de pouvoirs sans partage c’est bien de la société civile que viennent les dangers; d’ailleurs la révélation de l’existence de Pegasus est le fait de deux ONG dont Amnesty International appuyées par un consortium de grands Médias dont le quotidien Le Monde.

Ce combat contre cet espionnage ciblé doit être mené à l’échelle planétaire.

A cette fin doit être mise en place une Coalition internationale d’ONG qui sera à même d’exercer une forte pression sur les dirigeants des Etats, notamment démocratiques, pour qu’ils prennent les mesures tant dans leur pays qu’au sein des instances internationales et simultanément organisent la riposte au plan juridique et judiciaire.

Tout d’abord en inventoriant, au regard du droit applicable dans les pays où résident des « cibles » et où est produit, commercialisé et utilisé le logiciel, les infractions que cette production, cette commercialisation et cette utilisation peuvent constituer.

Ensuite en déclenchant des poursuites judiciaires à l’encontre de leurs auteurs.

Pour ce qui est de la France, nos concitoyens peuvent invoquer une atteinte à leur vie privée prévue et réprimée par l’article 226 du code penal:ses dispositions(article 226-3) interdisent sous peine de lourdes sanctions (5 ans d’emprisonnement et 300.000 eu d’amende) la fabrication, la détention ou la vente de matériels tels que ceux en cause aujourd’hui.

De manière plus générale et lorsque ce logiciel est utilisé afin de commettre des crimes et délits, le fournisseur pourra être poursuivi pour complicité par fourniture de moyens; surtout lorsque l’acquéreur ou l’utilisateur final (etat ou personne privée) est connu pour ces pratiques criminelles: arrestations et détentions arbitraires, meurtres, assassinats, ou toute atteinte grave aux personnes ou aux biens lorsque ces crimes ont été perpétrés grâce à l’utilisation de ce logiciel.

D’ores et déjà de nombreux cas d’usage de ce logiciel à des fins criminelles ont été relevés; ils ne peuvent demeurer impunis.

Le but est de dissuader toute entreprise, personne privée, tout état. de fabriquer, livrer ou utiliser une telle arme fatale pour la Démocratie et les valeurs qui fondent notre société.

Georges Orwell avait imaginé le risque tutélaire d’un état tout puissant; mais Big Brother ne disposait pas des outils auxquels la science lui permet d’accéder aujourd’hui; Alexis de Tocqueville avait, quant à lui, perçu l’importance du mouvement associatif dans la vie d’une Démocratie naissante, les Etats Unis, sans pressentir les dangers qui la menacent aujourd’hui.

Il est à ce jour plus nécessaire que jamais que les sociétés civiles et leurs organisations renforcent leur vigilance et développent leurs capacités d’action pour suppléer la carence de leurs états ou s’opposer à leurs abus; afin d’éviter que la monstrueuse Chimère ne prenne sa revanche sur le divin Pégase en transformant le héros qu’il transportait en bourreau de l’humanité.


François Cantier – Avocat
Président d’honneur d’Avocats sans Frontières France
Président de l’Ecole des Droits de l’Homme