Monsieur le Président de la République,
Nous sommes nombreux à suivre attentivement les discours et les actes posés par le pouvoir que vous incarnez concernant les migrants avec autant de craintes que de bienveillance et d’espoir.
Bienveillance et espoir à votre endroit en saluant la force et la profondeur de vos analyses et engagements qui redonnent à la France, dans le concert des Nations, une place à la hauteur de son Histoire et à nos concitoyens envie de s’en réclamer.
Craintes, sur la question migratoire, de vous voir faiblir sur les principes sous la pression d’une opinion publique supposée effrayée par une prétendue déferlante.
Alors je vous prie de vous exprimer et d’agir sur la question de l’accueil des migrants comme vous l’avez fait sur l’Europe, devenue au fil d’années d’atermoiements et de démagogie un véritable repoussoir, en réussissant à inverser cette tendance morbide.
Car pour tous ceux qui sont attachés à la valeur première d’humanité et à son corollaire qui est le respect de la dignité de tout être humain il n’est pas concevable de lui adjoindre un quelconque contrepoint, fut ce celui de la fermeté.
Si nous croyons dans la vertu d’une réflexion équilibrée prenant en compte la complexité du réel, ici le balancement nous est insupportable car synonyme de recul.
Nous voyons bien l’intérêt politique d’une telle attitude mais qui peut prétendre en tirer bénéfice ?
Alors vous qui vous faites l’apôtre d’une pensée ouverte, qui fuyez l’enfermement des contraires, sortez de cette impasse.
Osez affirmer que le principe et donc le devoir d’humanité s’impose à tous de manière irréfragable et que rien ne peut se mettre sur son chemin.
Vous avez su remporter une bataille électorale à laquelle très peu d’entre nous croyaient; et vous savez pourquoi nous avons été si nombreux à voter pour vous: pour dire un non clair, franc et massif à la xénophobie, au racisme, au refus de l’autre différent et oui à un monde ouvert, progressiste et fraternel.
La question du regard sur les migrants n’est pas anodine et secondaire, bien au contraire, elle surplombe toutes les autres; elle convoque la capacité de l’homme à faire prévaloir l’humanité qui le caractérise sur la domination d’un instant et d’un instinct qui fait craindre l’autre, qui pousse au repli sur soi, son appartenance nationale, ethnique ou religieuse.
Sur ce sujet se concentrent tous les démons qui sommeillent dans l’être humain et que tentent de manipuler les extrêmes droites, en France comme ailleurs: les migrants; c’est leur principal sinon unique fonds de commerce.
Ne fuyez pas ce combat; affrontez vos adversaires; vous ne les amadouerez jamais avec votre fermeté, ils seront au contraire encouragés par ce codicille où il liront la preuve du bien fondé de leur rejet et le signe de votre faiblesse.
Pour ceux de nos concitoyens qui ne sont pas prisonniers des peurs qu’inspirent à priori les migrants, ce sont leurs conditions de vie sur notre territoire qui sont effrayantes: trop souvent livrés à eux mêmes dans des endroits insalubres, sans ressources; lorsque l’état ou des municipalités ont organisé leur accueil il n’y a jamais eu de manifestation d’hostilité ou de rejet à leur égard, bien au contraire.
Alors faites à nouveau preuve d’audace !
Cette fois-ci en plaçant la barre encore plus haut; il ne s’agit plus d’emporter une bataille électorale mais de gagner la guerre de l’humanité contre la barbarie.
Déchirez une fois pour toutes le voile de Noé sous lequel racistes, xénophobes et démagogues tentent de se dissimuler en invoquant des dangers imaginaires; à leurs yeux vous n’en ferez jamais assez; mais aux nôtres, comme à ceux de l’Histoire, vous aurez contribué à la victoire des valeurs primordiales qui fondent la société des hommes et enfin tranché la controverse de Valladolid: ces personnes poussées hors de leurs pays, Africains, Arabes, Asiatiques, par la guerre, la violence ou la misère sont des êtres humains et nous leur devons un accueil fraternel et le respect de tous les droits inscrits dans notre Constitution, dans la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Europeenne et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Réveillez chez nos concitoyens et au delà de nos frontières l’idéal de fraternité qui ouvre les bras et les cœurs.
Rappelez aux oublieux que la première puissance planétaire, les États Unis, est un pays de migrants, volontaires ou contraints.
Que parmi nos plus grands hommes d’état, de la culture et de la science se trouvent bon nombre d’étrangers d’origine, de Mazarin à Gambetta, de Marie Curie à Georges Charpak ou de Guillaume Apollinaire à Yves Montand.
Que c’est notre universalisme hérité du siècle des Lumières qui est, sur tous les plans, politique, économique et culturel, notre meilleur atout dans un monde ouvert et concurrentiel, servi par une langue partagée par près de 300 millions de personnes présentes sur 4 continents.
Que le Liban, la Turquie ou encore l’Allemagne accueillent des migrants en grand nombre sans sombrer dans le chaos.
Que chacun sait que le tarissement de ces migrations massives réside dans le développement du tiers monde, dans la résolution de conflits et de dérèglements climatiques; et que la France 5 ème puissance mondiale a, avec l’Europe, un rôle essentiel à jouer pour remédier à ces désordres.
Reprenez la main sur cette question; ne laissez pas agir ceux qui ont contribué à l’échec moral de la politique.
J’ignore si cette victoire sera annonciatrice d’autres, électorales notamment; mais lorsqu’il s’est agi de supprimer la peine de mort MM Mitterrand et Badinter ne se sont pas encombrés de contreparties et, ce faisant, ils sont entrés dans l’Histoire.
Ouvrez vous grand cette porte, celle qu’empruntent les hommes épris de justes causes qui les dépassent et les transcendent, en ne vous laissant guider que par le seul fil rouge de l’humanité.
Jean Jacques Rousseau nous a appris que c’étaient les grandes occasions qui faisaient les grands homme; en voici une; veuillez vous en saisir.
François Cantier
Avocat
Président d’honneur d’Avocats sans Frontières France
Président de l’Ecole des Droits de l’Homme