La question des droits de la nature est aujourd’hui en débat; et s’il n’est guère de personnes pour les dénier, c’est en raison de l’urgence climatique qui est devenue une réalité visible et apeurante.
Mais comment en sommes nous arrivés là ?
Nos sociétés se sont construites sur un mode productiviste sacralisant le progrès économique, promesse de bonheur; le mythe Prométhéen et le Saint-Simonisme ont triomphé et le seul débat de fond, politique, a longtemps porté uniquement sur la propriété des moyens de production et la répartition des richesses.
L’homme, grâce à son intelligence et sa force de travail, détient tous les droits; il exploite la terre à sa guise et contraint la nature chaque fois que ses projets l’exigent.
C’est ce système qui a capté et monopolise le pouvoir; il a pour carburant l’indispensable finance (privée ou publique) qui tient les deux bouts de la chaine: investissement et consommation; le pouvoir politique ne pouvant qu’arbitrer à la marge pour imposer un minimum de règles afin d’harmoniser le système, de le rendre efficace au plan économique et supportable au plan social et tout récemment environnemental.
Le résultat de cette course effrénée à la production et à la consommation en est la modification substantielle de l’équilibre climatique sur lequel se sont construites nos sociétés, accompagnée de la disparition massive d’espèces; avec comme conséquences des mutations importantes dans tous les domaines de la vie des hommes, santé, habitat, agriculture et des déplacements massifs de population. Et s’il est abusif d’affirmer que la vie de l’homme sur terre est menacée il n’en demeure pas moins qu’elle court le risque d’être soumise à de profonds changements qui se traduiront, au moins dans un premier temps, par des bouleversements au plan économique avec de fortes migrations et de nombreux conflits.
Il est manifeste qu’aussi bien les États que les acteurs majeurs de l’économie ont plus que des difficultés à mettre en œuvre les mesures nécessaires, pourtant parfaitement identifiées, pour inverser ce mouvement car elles vont à l’encontre de leurs intérêts immédiats tout comme de ceux de nombreux citoyens qui y voient d’abord des contraintes et des entraves supplémentaires dans leur quotidien.
La raison profonde de cette sidération devant ces périls est que nous restons campés sur le paradigme multimillénaire de la supériorité de l’Homme et du caractère illimité de ses droits sur la Terre. Il s’est renforcé et accéléré au cours des siècles par la capacité des êtres humains à développer des activités nouvelles sources de richesses et à assujettir toujours d’avantage la nature; avec l’appui substantiel des religions monothéistes qui font de l’homme la plus haute créature de Dieu et son unique zélateur, lui conférant ainsi le pouvoir suprême.
La Terre a été colonisée par l’espèce humaine et la majeure partie des civilisations qui s’y sont développées ont créé une opposition entre culture et nature, la première étant le propre de l’homme lui permettant notamment de maîtriser la seconde; et ce sont elles qui ont construit et dominent ce monde.
Nos sociétés sont enfermées dans cette vision dont elles doivent se défaire pour construire une société respectueuse des autres composants du vivant, animaux et nature tous produits, comme l’homme, de notre Terre.
Poussés par une manifestation tous les jours plus visible et plus inquiétante des changements climatiques et par une société civile vigilante les dirigeants des États ont organisé, depuis bientôt un demi siècle, Sommets, Conférences, dont sont issus de nombreux Protocoles et Conventions dans le but de lutter contre le réchauffement climatique (de la COP de Stockholm en 1972 à celle de Paris en 2015 avec son accord universel); mais les résultats se font attendre et les dangers s’accroissent.
Les menaces qui pèsent aujourd’hui sur les peuples premiers, notamment en Amazonie, constituent l’archétype de la problématique de la sauvegarde de notre planète; le lieu de vie de ces populations est un endroit essentiel pour la survie de notre planète dont il est l’un des poumons majeurs; il fait l’objet de toutes les convoitises pour les richesses qu’il recèle; ces populations sont les derniers protecteurs de la nature et le principal obstacle à son exploitation à grande échelle; elles sont par conséquent menacés de disparaître; n’est ce pas, à plus ou moins longue échéance, après eux et comme eux, le sort qui guette l’espèce humaine?
Le combat pour leur survie, notre survie est et demeurera difficile car comment imposer à des États, ici ceux qui occupent cet immense territoire (dont, très partiellement, la France) de renoncer à exploiter ces prodigieuses richesses, végétales, agricoles, minières? En effet qui s’est élevé depuis la nuit des temps contre l’utilisation et l’exploitation des ressources naturelles qui nous ont permis d’atteindre le stade de développement que nous connaissons? Comment aujourd’hui imposer d’arrêter les horloges? Surtout à l’égard de pays dont les peuples souffrent de la misère.
Or l’indispensable prise de conscience tarde à produire les effets voulus pendant que ceux du réchauffement climatique s’accélèrent sous nos yeux.
Pour renverser définitivement cette tendance nos sociétés doivent procéder à une authentique révolution Copernicienne.
Les écosystèmes nous préexistent et conditionnent la vie des espèces, notamment humaine; par conséquent il ne s’agit pas de leur « donner » des droits, il est impératif de les leurs « reconnaître » et de les faire respecter en cessant de leur porter atteinte inconsidérément.
C’est d’abord au plus haut niveau, celui des Nations Unies que doit être adoptée une Déclaration Universelle des Droits de la Terre, pendant de celle des Droits de l’Homme dont elle sera l’alter ego; son contenu pourra s’inspirer du texte adopté par la Conférence Mondiale des Peuples contre les changements climatiques du 27 avril 2010.
Pour qu’elle devienne effective devra être mis en place un système, inspiré de celui existant autour de la DUDH, destiné à en assurer le respect; avec une forte participation de la société civile qui veillera également à ce que les États, et leurs organisations internationales telles l’Union Européenne, reprennent dans leurs normes ces principes et injonctions.
D’ores et déjà dans le monde, des progrès ont été réalisés à travers la constitutionnalisation du droit de l’environnement comme le relate l’etude de Mme Morand-Deviller (Cahiers du Conseil Constitutionnel N* 43) avec, en France, la Charte de l’environnement de 2004 qui a désormais valeur constitutionnelle.
Mais seuls quelques États Sud Américains, dont la Bolivie, le Brésil et l’Équateur ont inscrit dans leur Constitution les droits de la nature ce dernier dans sa Constitution de 2007, énonce de tels droits droits avec, dans son article 71, les termes suivants: » la nature a droit au respect de son existence ainsi qu’au maintien et à la régénération de ses cycles vitaux… »; et ce n’est pas un hasard que de telles dispositions se retrouvent dans des États où vivent d’importantes communautés Amérindiennes.
Il faudra qu’ils soient généralisés.
Afin de mener à bien cette transformation la bataille essentielle est celle de la conquête des esprits. Elle doit se mener sur tous les terrains; au plan individuel et dans l’espace public; au coeur des familles comme des systèmes éducatifs qui doivent inscrire dans leurs programmes l’enseignement des Droits du Vivant: ceux de la nature avec ceux des êtres humains.
L’humanisme auquel nous sommes et demeurons fondamentalement attachés ne peut constituer une rupture avec le reste du vivant.
Le vrai pari non plus à l’échelle d’un pays ou d’un continent mais à l’échelle planétaire et historique est de concilier ou réconcilier le mythe prométhéen, comprenant les droits fondamentaux de l’Être humain avec la préservation de ceux de notre Terre mère.
C’est l’authentique enjeu de ce XXIème siècle.
En écrivant ces mots je mesure le chemin à parcourir et les obstacles qui le parsèmeront.
Mais grâce aux intelligences conjuguées de la nature et des êtres humains nul doute qu’ils pourront être surmontés.
Ce combat ne peut plus être différé; comme et avec celui pour la defense des droits de tous les êtres humains; c’est pourquoi, à notre modeste niveau, l’École des Droits de l’Homme que j’ai créée voici 15 ans s’appellera désormais l’École des Droits Humains et de la Terre.
Est ce une utopie, une illusion de plus, un projet mythico démagogique? Non! un rêve mais un rêve si nécessaire largement partagé n’aura t-il pas vocation à devenir une réalité ?
François Cantier – Avocat
Président d’honneur d’Avocats sans Frontières France
Président de l’École des Droits de l’Homme