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L’Aquarius, le droit au secours des migrants

La crise migratoire touchant le bassin méditerranéen, qui oppose des personnes fuyant la guerre, les persécutions, la torture à la politique européenne en matière de droit d’asile, connaît son illustration la plus tragique le plus souvent au milieu de la Mer méditerranée, où des personnes embarquées à bord de navires de fortune trouvent la mort.

Une association, SOS Méditerranée, a été créée en 2015 avec pour mission d’affréter des bateaux pour sauver les embarcations en détresse. ASF France participe par ailleurs à un programme d’Assistance Juridique pour l’association européenne de sauvetage en mer et apporte dans ce cadre un soutien juridique à SOS Méditerranée.

C’est dans ces circonstances que dans la nuit du 10 au 11 juin, le navire affrété par SOS Méditerranée en partenariat avec Médecins sans Frontières, l’Aquarius, a procédé à des opérations de sauvetage et de transbordement au large des eaux territoriales libyennes, après le message relayé le 9 juin et sous instructions du Centre de coordination des secours maritimes italien (ci-après « IMRCC »).

Le navire Aquarius avait ainsi accueilli à son bord 629 personnes, dont 123 mineurs non accompagnés et 7 femmes enceintes.
Toutefois, alors qu’il faisait route vers un « port sûr » sur instruction du IMRCC, ce dernier ayant sollicité les autorités maltaises, le IMRCC a donné au navire Aquarius l’instruction de s’arrêter à 35 milles nautiques de l’Italie et 27 milles nautiques de Malte. Cette instruction plaçait le navire dans une situation géographique confuse, puisqu’il se trouvait alors dans une zone maritime commune à l’Italie et Malte.

Le 12 juin, après que le nouveau Ministre italien de l’intérieur ai annoncé refuser au navire Aquarius l’entrée dans les ports italiens, et ce sans fonder sa décision sur un quelconque texte juridique, celui-ci a eu pour instruction de se rendre au Port de Valence en Espagne, situé à 3 jours de navigation sous des conditions météorologiques se dégradant.

La décision, évidemment éminemment politique de l’Italie qui tourne ainsi un peu plus le dos à sa vocation humanitaire, consistant à d’une part interdire l’accès à ses zones portuaires et, d’autre part, à s’abstenir pendant plus d’une journée de donner des instructions de destination au navire Aquarius, doit être confrontée à ses obligations internationales.

En effet, l’obligation de prêter assistance est une obligation essentielle du droit maritime. Ce dernier consistait autrefois en un ensemble de règles coutumières, la Lex Maritima, mais cette obligation a depuis été retranscrite dans l’article 12 de la Convention de Genève sur la Haute mer du 29 avril 1958, puis reprise à l’article 98 de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer du 10 décembre 1982 (ci-après « Convention de Montego Bay ».

Il est à noter que la Convention de Montego Bay prévoit en ses articles 17 et suivants un « droit de passage inoffensif » pour tout navire, l’article 18§2 précisant que ce droit de passage peut comprendre l’arrêt, dans une installation portuaire ou au mouillage dès lors que cet arrêt s’impose « par suite d’un cas de force majeure ou de détresse ou dans le but de porter secours à des personnes, des navires ou des aéronefs en danger ou en détresse. »

On peut imaginer que le Gouvernement italien entendra justifier la violation de ce droit en invoquant l’article 19 de cette Convention, qui précise que « le passage est inoffensif tant qu’il ne porte pas atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l’Etat côtier », atteintes pouvant être constituées par l’ « embarquement ou débarquement de marchandises, de fonds ou de personnes en contravention aux lois et règlements … d’immigration de l’Etat côtier ».

Cette argumentation devra toutefois être confrontée au principe de bonne foi (dit d’Estoppel), puisque c’est à l’initiative du message relayé par le IMRCC italien que l’Aquarius a porté secours aux personnes embarquées.

L’obligation de prêter assistance a ensuite été développée dans la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer du 1er novembre 1974 (ci-après « Convention SOLAS »), qui contient un chapitre III dédié au sauvetage en mer et un chapitre V à la sécurité de la navigation. Ce dernier chapitre comprend les règles 10 et 15 qui rappellent les obligations pesant tant sur les navires que sur les gouvernements.

Enfin, la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes du 27 avril 1979 (ci-après « Convention Search and Rescue » ou « Convention SAR ») a renforcé cette obligation à l’article 2.1.10 de ses annexes qui rappelle que « les Parties s’assurent qu’une assistance est fournie à toute personne en détresse en mer. Elles le font sans tenir compte de la nationalité ou du statut de cette personne, ni des circonstances dans lesquelles celle-ci a été trouvée ».

Il ne peut donc subsister aucun doute sur l’obligation qui pèse sur les autorités italiennes de prêter assistance également aux migrants.
Comme énoncé précédemment, la Convention SAR organise également les zones de sauvetage, point de départ de la mise en jeu de la responsabilité des Etats, en exigeant que les opérations de recherche et de sauvetage soient menées par le pays dont dépendent les eaux territoriales où l’embarcation en détresse est repérée, ou qui assure la responsabilité de la région de recherche et de sauvegarde dans laquelle l’assistance doit être prêtée.

Ainsi, la Libye n’étant pas en mesure d’assurer cette mission, la zone de sauvetage dite «zone SAR» italienne s’étend jusqu’à ses cotes, ce qui justifie les instructions initiales du IMCC au navire Aquarius.

C’est également dans l’absence de ratification par Malte de l’amendement à la Convention SAR de 2004 que se trouve la source de la confusion rencontrée alors que le navire Aquarius se trouvait dans une zone SAR partagée entre Malte et l’Italie.

Une circulaire de l’Organisation maritime internationale (ci-après « OMI ») du 22 janvier 2009 a en effet rappelé qu’il fallait «veiller à ce que les opérations et procédures qui débordent le cadre de l’assistance aux personnes en détresse, telles que le contrôle et la détermination du statut de ces personnes, aient lieu après le débarquement en un lieu sûr », précisant que «la responsabilité́ de veiller à ce que cette coopération soit assurée incombe en premier lieu au gouvernement responsable de la zone SAR dans laquelle les personnes ont été secourues».

Cette unanimité d’objectif international de protection des migrants secourus en mer trouve notamment une illustration dans la publication d’ouvrages communs, tel l’ouvrage Sauvetage en mer : guide des principes et des mesures qui s’appliquent aux réfugiés et aux migrants, élaboré de façon conjointe par l’OMI, la Chambre internationale de la marine marchande et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

Par ailleurs, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (ci-après « CEDH »), si elle ne vise pas expressément le devoir des États de porter secours aux personnes en détresse en mer, rappelle en son article 2 § 1 que «le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi ». La Cour de Strasbourg a eu l’occasion de rappeler que cette disposition faisait peser sur les Etats des obligations en ces termes : « la première phrase de l’article 2 § 1 astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction ». L’article 3 de la CEDH, visant l’interdiction de soumettre une personne à des traitements inhumains ou dégradants peut également être invoqué.

Or, compte-tenu de la population à bord du navire Aquarius, de ses besoin tant en soins qu’en nourriture qui ne pouvaient être satisfaits en haute-mer, il peut être soutenu que les passagers du navire ont été soumis à un risque grave pour leur vie en violation de cette disposition.

Enfin, la décision du Ministre italien de refuser l’accès à un port sûr contrevient, entre autres conventions internationales relatives à la protection des droits de l’homme, aux dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés du 22 avril 1954, qui pose en son article 33 le principe de non-refoulement, principe absolu également consacré par la réglementation et la jurisprudence européenne, tandis que l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, prévoit que toute personne soumise à la persécution a le droit de chercher asile et d’en bénéficier.

Toutefois, si des dispositions juridiques flagrantes peuvent être invoquées par SOS Méditerranée confrontée aux décisions italiennes, la question se pose évidemment de la mise en oeuvre de ces règles, particulièrement dans une situation requérant une action urgente.

Or, une telle action devrait être possible devant les juridictions italiennes ; en effet, il existe, comme en droit français, une procédure de référé devant le juge administratif permettant d’obtenir un jugement rapide sur une situation liée à une décision de l’administration, notamment lorsque la situation présente un caractère d’urgence.

Dans le cas présent, la condition d’urgence aurait pu être caractérisée par l’état de la mer, le nombre de personnes secourues présentes sur le bateau et le peu de vivres restant à bord.

Le fait que la décision italienne n’ai été, semble-t-il, matérialisée par aucun document écrit ne serait pas un obstacle à l’engagement de cette procédure, puisque le Conseil d’état a pu retenir qu’un acte administratif dit « sans instrumentum », soit non matérialisé par un document était bien un acte administratif susceptible de recours.

Si cette action n’aboutissait pas, ou dans l’objectif de voir constatée sous un angle européen voire international la violation délibérée de leurs obligations par ces Etats, restent ouverts des recours devant les juridictions européennes ou internationales compétentes.

Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme peut être saisie par « toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui s’estime victime d’une violation de ses droits ou libertés, garantis par la Convention » soit, en l’espèce, les articles 2 et 3 de la CEDH susmentionnés.

Par ailleurs, la Convention de Montego Bay prévoit de régler les différents découlant de l’application de la Convention devant, au choix, le Tribunal international du droit de la mer, la Cour internationale de Justice, l’arbitrage ou l’arbitrage spécial.

Ces procédures doivent néanmoins être engagées par un Etat à l’encontre de l’autre Etat, aussi nécessitent un engagement politique de la France, compte-tenu du rattachement du navire Aquarius, ou plus probablement de l’Espagne à l’encontre de l’Italie ce qui ne restera qu’une solution hypothétique.

En tout état de cause, si un tel recours ne règlera malheureusement pas la situation urgente que connaît encore aujourd’hui le navire Aquarius, il est nécessaire que des États membres de la communauté internationale assument leurs obligations, particulièrement en cette période emplie de sombres promesses telle la constitution, selon la volonté des ministres de l’Intérieur italien, autrichien et allemand, d’un « axe des volontaires » (le rappel historique de cette terminologie n’étant pas anodin), visant à lutter contre l’immigration dite illégale.

Le combat qu’Avocats sans Frontières France mène ici, aux côtés de SOS Méditerranée et des migrants, est au coeur de son engagement afin que les droits des plus vulnérables soient en toutes circonstances respectés; et l’atteinte aux droits de personnes fuyant la violence et la guerre, au sein d’un espace Européen censé les protéger, renforce encore notre détermination.

François CANTIER
Avocat
President d’Honneur d’’Avocats Sans Frontières France
Béatrice FLEURIS
Avocate
Membre du Groupe « Migrants » d’Avocats Sans Frontières France