Photo : Alexis de Tocqueville – Philosophe | 1805 – 1859
Est-il possible de tenter de comprendre et d’analyser sereinement les événements que connaît le monde à la suite de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump en janvier 2025 ?
Si ses promesses et celles de son gourou Elon Musk durant la campagne présidentielle de 2024 prêtaient à perplexité sinon à sourire, alors même qu’elles provenaient de deux des hommes les plus puissants de la planète, il n’en est plus de même aujourd’hui, où, parvenus au pouvoir, ils sont passés aux actes et nous entraînent dans un tourbillon d’incertitudes et de craintes.
L’annonce de l’annexion d’un état voisin, allié et ami, de l’acquisition d’un territoire appartenant à un autre, du déplacement de populations entières, bref de la mise en œuvre d’une politique impérialiste brutale et criminelle, nous a projetés dans un passé où des régimes dictatoriaux et bellicistes s’affranchirent de toutes les règles pour imposer celle du plus fort ; tout comme l’abolition d’un trait de plume de celles patiemment élaborées ces 2 derniers siècles pour instaurer une coexistence pacifique entre les nations, ou protéger des salariés contre des licenciements brutaux ou encore des étrangers contre des expulsions massives et indiscriminées, toutes issues de la volonté d’un constant progrès dans l’humanisation des rapports individuels et collectifs.
Or ces projets émanent de la première puissance mondiale, qui est aussi la toute première démocratie, nation recomposée et libérée d’une tutelle coloniale qui l’avait naturellement conduite à embrasser le modèle démocratique ; cette même nation qui a sauvé l’Europe d’abord puis le monde de la barbarie nazie et nous a, par la suite, protégés du tout aussi délétère communisme.
Comment ce pays que nous admirons tous, même s’il est aussi celui d’un capitalisme sans concession, peut-il devenir un possible ennemi, un véritable danger public prêt à sacrifier ses principes et valeurs pour satisfaire son désir forcené d’hégémonie ?
D’autant que son chef politique s’était allié avec l’un des plus puissants dirigeants économiques du monde !
Certes ce rapprochement manifestement incongru laissait perplexe et sceptique sur sa pérennité ; il vient de se terminer à grand bruit ; mais l’interrogation demeure : comment ce chef d’entreprise intelligent, pour tout dire génial, émigré puisque venu d’Afrique du Sud pour prolonger ses études aux États-Unis, plongé dans un monde de liberté qui lui a permis de déployer un incroyable talent et constituer une immense richesse, peut-il soudainement s’associer à un homme d’affaires au charisme glauque, raciste, misogyne, xénophobe, homophobe, menteur invétéré, qui s’affranchit de toutes les règles éthiques et sociales, au projet politique aussi incohérent et dangereux pour son pays et l’humanité ?
Faire de la liberté sans garde-fou un principe absolu et marchandiser les relations internationales ne peut mener, et c’est son but, qu’à la domination sans partage des puissants qui seront libérés de toute contrainte au seul profit de leurs intérêts.
Mais nous n’étions pas au bout de nos peines puisque nous avons assisté à un renversement total d’une alliance historique avec les grandes démocraties pour se liguer avec un dictateur violent et cynique qui a agressé un pays voisin qui ne revendiquait que sa liberté de choisir la voie démocratique !
Qui aurait pu penser que les États-Unis d’Amérique nés dans la douleur d’une guerre de libération contre une grande puissance impériale, l’Angleterre, au nom de la liberté dont la statue nous accueille lorsque nous approchons de ses rivages, viendraient un jour se ranger du côté des ennemis de la liberté ?
Lafayette, nous voilà ! S’écrièrent les soldats américains venus à notre secours lors de la Première Guerre Mondiale, rappelant ainsi, qu’avec ce disciple des Lumières, la France avait contribué à leur libération.
Jeter à la face du monde des contre-vérités au gré de ses humeurs pour justifier l’indéfendable et l’impensable relève d’une dérive personnelle profonde, aussi inquiétante que celle qui fit considérer tel peuple comme supérieur et tels autres comme des dangers qu’il fallait éliminer de la surface du globe.
Comment en sommes-nous arrivés là et comment faire face à cette déferlante de déraison et de violence ?
L’humanité a mis des siècles à contenir les appétits des puissants en édictant des normes qui les encadrent depuis des règles coutumières ou émanant des religions puis des pouvoirs politiques, sous la pression des peuples avec leurs partis politiques, leurs syndicats et leur monde associatif pour aboutir à l’existence de régimes démocratiques ; en encadrant les relations entre les individus et entre les états, sans toutefois parvenir à empêcher deux guerres mondiales qui, en fin de compte, n’ont fait que renforcer les impératifs d’humanité et de régulation.
Or voici que désormais cet héritage historique est mis au rebut et que ressurgissent, tels des diables sortis de leur boîte, de nouveaux Malins avides de pouvoir et de gloire.
Ils utilisent, pour satisfaire leurs insatiables appétits, toujours la même recette : flatter la fibre nationaliste, l’appartenance à une nation qui serait menacée et qu’il faudrait défendre à tout prix. Déclencher ce réflexe, pur produit du cerveau archaïque et de l’irrésistible force animale de l’attache au territoire, amène nombre de citoyens à suivre, contre toute raison, ces mauvais pasteurs ; » Make America great again ! « ne serait-il pas l’écho lointain et terrifiant du » Deutschland über alles « ?
Nous assistions impuissants et distraits à cette résurgence des aspirations impérialistes avec la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping accompagnées de pâles mais inquiétantes répliques en Iran et en Turquie mais demeurions rassurés par la force économique, politique et militaire de l’Occident avec, en première ligne, les États Unis d’Amérique.
Mais voici qu’en quelques jours ce pays, du moins ses dirigeants, retourne ses alliances et se jette dans les bras de M. Poutine à qui il concède ses conquêtes territoriales et promet une coopération économique dont il a tant besoin, abandonnant en rase campagne un pays martyr et un dirigeant héroïque devenus le symbole de la résistance à l’oppression et à l’impérialisme !
Que comprendre d’une telle démarche ?
Sinon qu’elle provient d’un homme détraqué, sans doute sous influence, embarqué dans une folle dérive, qui mène son pays et toute une civilisation, celle de la raison, de la démocratie et des Droits de l’Homme, à sa perte. Le problème est qu’il a été porté à la présidence de son pays par 80 millions d’électeurs libres de leur choix ; mais dont il y a tout lieu de penser qu’ils n’avaient pas une conscience exacte de la portée de leur vote et des décisions, qu’arrivé au pouvoir, leur nouveau Président prendrait.
Comment celui-ci peut-il imaginer une alliance avec la Russie d’un dictateur qui veut reconstruire l’empire Soviétique, celui-là même qui fit tant trembler sa nation lorsqu’il en vint à vouloir installer ses fusées à ses portes, à Cuba ?
Comment ne voit-il pas le danger que représente cette triple trahison, à l’égard du peuple Ukrainien, de ses alliés traditionnels et des valeurs que son pays partage avec eux ? Celles de la Démocratie, de la liberté et du respect de la souveraineté des peuples ?
La seule explication est qu’il veut le rétablissement de la loi de la jungle avec un monde où régneront des monstres de puissance et où la seule liberté qui vaudra sera la leur, celle des grands prédateurs dont il pense être le mâle alpha.
Cette inimaginable trajectoire s’est accélérée ces deux dernières années qui l’ont vu transformé d’un politicien déchu, repris de justice, poursuivi et condamné pour 32 délits dont certains misérables, irrémédiablement voué à la prison, en Président de la première puissance mondiale ! Et simultanément échapper miraculeusement à la mort lors d’une tentative d’assassinat manquée !
Nul doute que ces événements l’ont transformé à ses yeux, comme à celui de nombre de ses concitoyens, en personnage messianique, sans parler de l’extraordinaire sentiment de toute puissance que peut procurer le fait d’être cru et soutenu par des dizaines de millions de citoyens qui avalent sans sourciller n’importe quelles balivernes ! Dans un pays éduqué et dominé par un puritanisme faisant du mensonge le mal absolu !
Christique et Nietzschéen le voici sur les sentiers de la gloire que seules les conquêtes peuvent apporter ; devant son peuple pour moitié conquis et pour l’autre sidéré ; devant ses anciens alliés désemparés, encore sceptiques et toujours dépendants, sous le regard émerveillé de ses concurrents Chinois et Russes qui voient là à juste titre la fin de l’espérance démocratique qui est en fait leur seule crainte et leur unique ennemi.
Sur ce chemin il a des alliés de choix, son Vice-Président Vance et l’internationale des mouvements populistes.
Le premier, longtemps ignoré, s’avère être un idéologue qui tente de théoriser les idées fantasques et saugrenues de son mentor autour des vieilles lunes de l’extrême droite: nationalisme, traditionalisme, misogynie, homophobie, xénophobie, dont les États-Unis seraient les promoteurs et les meilleurs garants dans un monde qui sera à leur seul service. Il poursuit manifestement l’objectif de succéder à Donald Trump pour devenir le futur Président de son pays ; ce qui laisse augurer d’une coexistence difficile avec l’actuel dont la personnalité s’accommode mal de la perspective d’une retraite.
Les seconds ne veulent voir leur salut, auquel ils assimilent celui de leur peuple, que dans des régimes autoritaires dont ils seraient naturellement les chefs et, pour le rester, assujettiraient tous les contrepouvoirs, médias, justice, syndicats et partis d’opposition ; un modèle qui fit ses preuves tragiques en Europe et prive toujours aujourd’hui de liberté des peuples entiers, notamment, aujourd’hui, Russes et Chinois. Ce sont ces dirigeants autoritaires qui inspirent nombre de citoyens effrayés par les incertitudes et craintes qu’ont fait naître l’ouverture de nos sociétés au grand large de la mondialisation et leur perméabilité.
Et voici qu’à nouveau les grenouilles demandent un Roi comme Jean de la Fontaine nous l’avait conté ! Et que, par un heureux hasard, tous les dirigeants parvenus au pouvoir par la force ou l’illusion populiste, se pensent en despotes éclairés, prêts à sauver leur peuple, alors même que n’émanent de la plupart d’entr’eux que d’obscures lueurs.
Naturellement ces néo despotes rejoignent le camp de leurs grands inspirateurs qui sont aussi logiquement leurs nouveaux maîtres ; ils sont visibles sur la scène internationale à l’occasion des Conférences ou événements initiés par leurs mentors ; c’est ainsi que nous voyons avec tristesse des dirigeants de plusieurs pays anciennement colonisés par des nations occidentales rejoindre la Chine ou la Russie au nom de l’anti-impérialisme ! Sans se demander ce que pensent les Tibétains, les Ouïgours ou les Ukrainiens de leur politique d’émancipation des peuples ! Le règne de l’imposture ne serait-il pas arrivé ? Ou celui de l’absurde avec les anciens colonisés qui se liguent avec les nouveaux colonisateurs !
La force des grands despotes réside dans leur absence totale de scrupules ; ils recourent sans sourciller à la violence et au mensonge devenu leur respiration, ce qui explique qu’ils ne peuvent y renoncer ; leurs discours comme leurs actes ont comme seule boussole leurs intérêts. Parvenus à asservir leur peuple, ils veulent aller le plus loin possible dans leur volonté de conquête pour assouvir leur soif de puissance et réduire leurs concitoyens en admirateurs éperdus de leur grandeur.
Jusqu’où nous amèneront-ils ?
Leurs prédécesseurs ont répondu à cette question : jusqu’à la guerre.
Elle est déjà en cours avec celle déclenchée par la Russie en Ukraine, et en préparation en Chine pour l’invasion de Taïwan. Il suffit de regarder les soubresauts politiques en Europe de l’Est et les intrusions dans les processus électoraux dans les pays Européens, pour comprendre où veut en venir la Russie et la nouvelle carte que vient de publier la Chine de son territoire pour savoir quel est son projet, dans le prolongement des routes de la soie et des instituts Confucius.
Avec le revirement des États-Unis le risque de la disparition de notre civilisation humaniste devient une perspective vraisemblable.
La montée des populismes et des partis d’extrême droite, soutenus par la Russie et plus discrètement par la Chine, directement ou par alliés interposés, le démontre amplement : leur trajectoire promet de les amener au pouvoir sous peu , d’autant qu’ils sont désormais ouvertement encouragés par les Etats-Unis.
Nous découvrons simultanément l’extraordinaire puissance militaire et diplomatique de ce pays et de celui qui préside à sa destinée; il semble seul à pouvoir faire cesser les conflits majeurs que connaît notre planète : de l’Ukraine à la Palestine, en passant par la région des Grands Lacs ou l’Asie du Sud Est ; s’y ajoute l’influence de la plupart de ses multinationales qui ont rejoint son projet hégémonique sur la vie économique et sociale de la plupart des nations ; avec la prise de sanctions contre celles qui ne suivraient pas ses injonctions politiques comme en témoignent notamment les pressions exercées à l’encontre du monde juridique.
Les Démocraties humanistes sont désormais prises en tenaille entre les deux mâchoires qui veulent les briser : celles du « trium-état » États-Unis, Chine et Russie et celle de l’internationale populiste.
C’est donc aux prémices d’une authentique Révolution porteuse de tous les dangers que nous assistons sans que leurs initiateurs n’énoncent ni leurs objectifs finaux ni les principes qui les guident, nous laissant en conclure qu’il s’agit uniquement d’asseoir la domination de leur pays et leur pouvoir personnel avec comme moyen permanent le libre usage de la force.
Avec cette perspective, c’est la réalisation du mythe Prométhéen, celui d’un progrès continu vers la liberté et l’émancipation, qui se brise sur les murailles de pouvoirs qui le considèrent, à juste titre, comme leur principal ennemi.
Nous assistons à une modification profonde des équilibres entre états, certes fragiles mais qui avaient pu maintenir une paix relative, au profit d’une polarisation de notre planète en 3 empires majeurs : l’Américain, le Chinois et le Russe reconstitué par la reprise de l’Europe de l’Est dont l’Ukraine est la première marche ; cette alliance n’étant que l’étape provisoire, intermédiaire, avant la bataille finale qui désignera le maître du monde.
Soyons assurés qu’elle engendrera inévitablement l’oppression du plus grand nombre au profit de systèmes prioritairement tournés vers la préservation du pouvoir de leurs dirigeants et la production de richesses matérielles. Elle se traduira par l’assujettissement d’une majorité de citoyens écrasés par la toute-puissance à la fois de ces états et des grandes entreprises ralliées, de gré ou de force, à leurs dirigeants. Ce système n’est pas une chimère, il existe déjà : en Chine, avec des individus totalement sous contrôle et dans l’impossibilité de défendre leurs droits. Cette alliance, cette fusion entre deux pouvoirs majeurs, politique et économique et cet affrontement entre 3 pôles irrémédiablement antagonistes débouchera inexorablement sur la généralisation de régimes autoritaires et dans un second temps sur la guerre.
J’en reste là pour l’instant pour me consacrer à l’écriture des espoirs qui demeurent et qui sont toujours plus forts que toutes ces sombres perspectives, aussi inéluctables qu’elles puissent paraître.
François Cantier – Avocat
Président d’honneur d’Avocats sans Frontières France
Président de l’École des Droits Humains et de la Terre